mardi 17 mai 2011

le dernier rivage

Il y a quelques années j'étais tombé sur un téléfilm à rallonge intitulé USS Charleston, dernière chance pour l'humanité. La chose était réalisée par Russell Mulcahy et, d'ailleurs, se déroulait en bonne partie en Australie avec un casting aussi australien. Armand Assante y jouait le commandant du dernier sous-marin d'attaque nucléaire états-unien réfugié en Australie après une guerre thermonucléaire totale. Le pays vivait alors dans l'attente, prévue, des retombées radioactives et le sous-marin partait pour une ultime mission de reconnaissance car un mystérieux signal avait été capté. Entre temps, Assante tombait amoureux de Rachel Ward. Je n'ai en fait gardé que deux souvenirs de ce téléfilm assez pauvre sur le plan cinématographique et visuel : le marin quittant le sous-marin pour rejoindre San Francisco dont il est originaire tout en sachant qu'il va mourir dans les jours suivants ; la révélation décevante et déprimante de l'origine du signal.
Mais ce que j'ignorais alors, et pour tout dire, jusqu'à samedi matin, c'était que ce téléfilm (qu'on peut facilement voir en streaming et qui repassera sûrement sur la TNT un de ces quatre) était le remake d'un film de Stanley Kramer de 1959 intitulé ON THE BEACH. Sur un scénario de John Paxton adaptant un roman de Nevil Shute, le film mettait en scène Gregory Peck dans le rôle du commandant de l'USS Sawfish qui, par l'intermédiaire du lieutenant australien servant de liaison joué par un jeune Anthony Perkins, rencontrait une femme à la dérive interprétée par la grande Ava Gardner. Il croisait aussi le chemin d'un scientifique britannique écoeuré par la guerre joué, avec étonnamment de justesse et de sobriété, par nul autre que Fred Astaire ! On y découvrait aussi une jeune actrice, Donna Anderson, dans le rôle de la femme de Perkins.
Le résultat est un film poignant, splendidement réalisé, avec un réel souci de donner au cadre toute sa dimension, quitte à le décaler quand les personnages sont ivres, quitte à opter pour des gros plans fugitifs et des flous sur les visages. Le noir et blanc est superbe, et renforce l'impression de voir un long épisode de The Twilight Zone ou de The Outer Limits.
Tourné à Melbourne et dans sa banlieue le film nous plonge d'emblée dans un monde qui se sait condamné, où l'on circule en vélo et à cheval, où on compte les bouteilles dans les caves, où chacun veut assouvir ses envies et où l'on continue à faire semblant tout en préparant la distribution de pilules pour se suicider le moment venu.
Cette obsession de la possibilité de se donner la mort plutôt que de subir la mort lente par les radiations, est une vraie provocation pour les moeurs de l'époque mais le serait encore aujourd'hui. Il faut voir la femme du lieutenant fondre en larmes à l'idée de donner une pilule à son enfant. Il faut voir aussi Julian, démarrer sa Ferrari dans son garage et sourire alors que les gaz mortels commencent à l'entourer.
La dénonciation de la guerre, et plus largement de l'hypocrisie de l'équilibre de la Terreur imposé au monde par les deux puissances nucléaires, est aussi très forte et l'on sait que Gregory Peck, farouche opposant aux armes nucléaires, accepta de jouer dans le film pour cette raison.
Bien sûr les scènes que j'avais aimées dans le Mulcahy provenaient du scénario original et elles m'ont autant touché, sinon davantage.
Kramer, volontairement, choisit de ne pas montrer les victimes de cette guerre : nulle image de villes détruites, d'incendies, de cadavres ou d'images télévisées. Quand le Sawfish arrive à San Francisco tout est vide, comme est vide Melbourne dans le dernier plan du film, quand les derniers humains ont été se terrer pour mourir à l'abri des regards.
Un film essentiel à découvrir ou redécouvrir, ne serait-ce que parce que Gregory Peck y est formidable, à la fois de force tranquille, très américaine, mais aussi de fragilité (je pense à la scène où il explique qu'il n'arrive pas à concevoir la perte de ses enfants) ; mais aussi parce que Ava Gardner, qui tournait son premier film d'actrice libérée du contrat de vingt ans qui la liait aux studios, avait choisi ce personnage de femme alcoolique et solitaire et que, en dépit d'une caméra pas toujours à son avantage, est toujours aussi fabuleusement belle. Enfin, et je pourrais m'extasier longtemps sur lui, il y a Fred Astaire dont je savais qu'il n'avait pas fait que des comédies musicales pour avoir vu le TAXI MAUVE de Boisset, mais j'avoue que là il m'a sidéré par sa capacité à susciter l'émotion et à assumer son âge sans avoir, pour une fois, à jouer les séducteurs.

ps : demain, des images du film !

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